La Gare

La Gare et la voie ferrée de Montigny, lieux de vie et de mémoire.

Une ligne stratégique

A partir du milieu du XIXème siècle, la France s’industrialise ; il faut transporter  combustibles, matériaux, produits manufacturés, hommes et bêtes d’un bout à l’autre du territoire. Le train commence à remplacer les chevaux. La ligne Bourges-Vierzon ouvre en 1847 et celle de Bourges-Nevers en 1850. Dès cette époque, l’Etat et ses ingénieurs cherchent à ouvrir des lignes reliant Bourges, où se trouvent des arsenaux, au Nord-Est où se trouve « l’ennemi » de l’époque,  cela sans passer par Paris. C’est ce qui explique la décision de créer en 1882 la ligne Bourges – Cosne, ligne stratégique et militaire qui passait par Montigny.

Alors, la ligne est vite construite. Tracé, expropriation, consctruction, tout s’enchaîne… Approuvée en 1888, elle est ouverte en 1893.

La Gare de Montigny – Azy a été construite dès l’ouverture de la voie. Elle possédait un bâtiment mixte voyageurs – marchandises avec le logement du chef de Gare à l’étage. Située à 235 vaillants mètres d’altitude, elle était le point culminant de la ligne.

De Bourges à Sancerre, sont ainsi construits des ouvrages d’art impressionnants. Le plus célèbre est certainement le viaduc de Saint-Satur. Avec sa courbe de presque 450 m de long, ses 27 mètres de haut et ses 26 arches, c’est un défi technique qui relie encore aujourd’hui Sancerre à Saint Satur et qui permet de jolies promenades sur les coteaux du piton. Plus discret mais vraiment superbe, le viaduc de l’Etang avec son tablier métallique et ses 30 mètres de haut, enjambe une vallée de contes oubliés. Aux heures de soleils bas, en hiver, la lumière dirée fait exploser les courleurs du vignoble et de la pierre jaune des piliers ; au volant de nos bolides à pétrolee, on hésite alors entre regarder la route et profiter de la beauté du paysage. Le mieux est certainement de s’arrêter, contempler le piton, humer l’air, saluer le vieux viaduc et se dire que l’homme et la nature, liés, savent nous offrir des paysages exceptionnels.

Des Aix à Sancerre s’égrainent maisons de garde-barrière, gares, ponts, voies rectilignes bordées de haies, viaduc en pierre et acier… tout notre paysage porte le souvenir, la cicatrice verte, de cette ancienne voie ferrée passant par le sud de Montigny.

Les habitant de la commune en ont des histoires à raconter sur le sujet… Feu Marie Louise Serveau, garde-barrière de la Gaare, raconte dans un article de presse des années 90 que pendant la guerre, au lieu des 8 convois journaliers, c’était toutes les 30 minutes que les trains passaient.

La destruction ou la protection de cette voie, aussi, étaient stratégiques. Le petit pont de la Reculée, qui est de facture plus récente que les autres ponts de la ligne, en est le témoignage. Les italiens l’ont bombardé en 1940, il a été reconstruit, en 1944 les maquisards l’ont fait sauter, les allemands l’ont reconstruit au moyen de poutres en bois  ; mais les maquisards l’ont refait sauter et  les allemands l’ont de nouveau reconstruit… La ligne était vitale, on se battait pour la clore ou la faire vivre. Avec sa voie ferrée, Montigny, aussi, a vécu la bataille du rail…

Mais cette ligne de guerre, aujourd’hui arborée et parfois oubliée, est aussi une ligne de vie.

Une ligne de vie

Avant la seconde guerre mondiale, les automobilistes étaient rares, très rares. L’essentiel des transports moyenne et longue distance se faisait en train, ce qui était plus rapide et plus fiable que la route.

Joël Drault, par exemple, se rappelle qu’il prenait l’autorail tous les lundi matins pour aller au lycée. Son père l’y conduisait, il y retrouvait d’autres amis du lycée, et la « micheline » l’amenait vers une semaine studieuse et berruyère.

Pour la foire du jeudi des Rameaux « les beaux marchés » à Sancerre, le train était bondé de Berruyers ; lors de la foire de la Saint Jean, les Sancerrois, en sens inverse, se rendaient à Bourges. Pour la foire de Pesselières, le 1er d’juin, c’est de partout que les voyageurs descendaient à Montigny.

Dans cette gare tenue jusqu’en 1967 par Mme Fiama, puis jusqu’en 1971 par M. Sarrail, on recevait aussi tout le nécessaire à la vie du territoire : grain, charbon, ciment, bétail, outils… Et on y envoyait les productions locales : volailles, oeufs, grain, veaux et moutons.

Parmi les multiples et divers objets que le train amenait tous les jours à Montigny, il y avait le courrier. Tous les matins, le facteur Maurice Volton allait chercher le courrier à la gare. En faisant sa tournée, il ne refusait pas un café ou un casse-croûte quand c’était l’heure du repas : mais, quand il s’arrêtait, il ne quittait jamais sa sacoche. C’était sacré. Le soir, il ramenait le courrier collecté à la gare pour qu’il parte par le train du soir.

La Gare avait son « Café de la Gare ». Bien entendu ! Tenu jusque dans les années 1940 par Mme Duteil puis jusqu’en 1968 par Mme Fertille, il était un vrai lieu de vie où l’on pouvait boire, manger mais aussi acheter du grain et différents matériaux.

Mme Serveau, garde barrière entre 1940 et 1967 et personnalité du lieu, a ouvert jour et nuit la barrière du passage à niveau et habitait sa maisonnette de fonction avec sa famille. Son fils, Daniel, nous raconte que vers 1954 (ou peut-être vers 1940 ?), on a installé un silo à grain à la gare de Montigny. Alors, aux moissons, c’était jusqu’à vingt tombereaux tractés par les chevaux puis ensuite par les premiers tracteurs qui faisaient la queue. Ca faisait alors un paquet de joyeux client pour le café. Sans compter les saisonniers !

Ainsi bruissait la ligne Bourges – Sancerre – Cosne quand les locomotives à charbon (jusqu’en 1950) puis à moteur Diesel empruntaient la voie Bourges – Cosne, quand on se rendait dans les grands bourgs en train, quand les maisonnettes de passages à niveau, les gares et leurs cafés remplis d’enfants, d’ouvriers et de paysans s’égrenaient tout au long de son fil de fer et de pierre.

Puis la voiture, le bus et le camion ont rendu le train moins compétitif, moins pratique… Alors le trafic a été réduit, cessant de transporter du public à partir de 1966 et cessant complètement son activité de fret en 1987. Entre 1990 et 1992, les rails et les traverses ont été enlevés.

Aujourd’hui, la ligne bruisse toujours. D’un autre bruit. Celui du vent dans les noisetiers, les chênes et les charmes. D’un vététiste qui profite de l’aubaine, de promeneurs, de chasseurs, de gibiers et de blaireaux. De quelques tracteurs passant le long ou sur l’ancienne voie pour se rendre aux champs. Du silence d’un charmant petit pont qui, au niveau de la Charnaye, surplombe une voie de sable ombragée, droite, plane, ouverte sur les champs et les bois.

Aujourd’hui, la gare a disparu, une aire de stockage de céréales a été créée à sa place, mais le petit hameau de la Gare est toujours un lieu de vie. Plus plaisible ; mais toujours accueillant et chaleureux.

Pour s’en convaincre, il suffit d’aller voir l’ancien « Café de la Gare » où habitent maintenant Séverine & Richard PETIT.

Pour cet article, nous avons bénéficié d’une vraie mobilisation et envie de témoigner de la part de ceux qui ont connu la gare et la voie ferrée de Montigny ; de la disponibilité, des sourires, des anecdotes pouvant remplir au moins trois articles… La gare n’est plus là mais la vie continuee d’habiter le hameau… L’ancienne voie ferrée n’est plus là mais beaucoup s’en souviennent… Le café est fermé mais il illumine toujours la nuit…

Comme quoi, les lieux aussi ont une âme.

Sébastien Welsch, avec l’aide de Paul Hurley

Je tiens tout particulièrement à remercier Paul Hurley qui a apporté toute la ressource historique et technique à cet article. Il a édité un livre sur « le Chemin de Fer en Sancerrois, Pays fort et Champagne Berrichonne ». Merci aussi à Daniel et Alain Serveau, Pierrette et Christian Jarry, Yvonne Gressin, Joël Drault et la chaîne de bonnes volontés et de mémoires qui ont enrichi cet article.