La Maison du Forgeron

Quelle est cette petite maison qui semble dormir toute l’année, dans le virage, au milieu du bourg de Montigny ? Un petit peu en retrait de la route, cachée derrière les rejets touffus de buis, de noyers et de lierres, close de sa porte vitrée à petits carreaux qui ne s’ouvre pas bien souvent, cette maison basse apparaît insignifiante, vite oubliée par les voitures qui ne font que passer.

Tous les ans néanmoins, pour les journées du patrimoine, la baie de bois peinte en marron s’ouvre, une fumée asthmatique s’échappe de la cheminée et une pancarte apparaît devant le taillis de buis. On peut y lire : « Maison du forgeron ». Sitôt le week-end de septembre passé, la pancarte disparaît, la porte se referme et les buis retrouvent leur tranquilité. Les oiseaux et les chats aussi, qui savent bien qu’autour de cette maison et dans le grand jardin qu’elle cache derrière, ce sont eux les rois. Car ce site est labeliisé « Sanctuaire de la Ligue de Protection des Oiseaux ».

Quand, pour la fête du patrimoine, le panneau « Maison du forgeron » apparaît, alors les chats se cachent, les oiseaux s’en vont et ce sont d’autres habitants qui viennent hanter la remise, la forge, la cave et le jardin de la maison oubliée. Devant l’entrée se tiennent deux silhouettes aux cheveux gris bien connues à Montigny : celles des deux dames âgées qui s’occupent, avec d’autres, de l’église, et que l’on voit tous les jours et par tous les temps, l’échine courbée et un fin sourire aux lèvres, parcourir d’un pas décidé les trottoirs du bourg. Cette petite maison oubliée est celle des soeurs Mireille et Bernadette Brion ou plutôt celle d’Henri Millereux, leur arrière-grand-père, qui construisit la forge en 1871. Depuis lors, et jusque dans les années 1950, la forge de Montigny fonctionna pour réaliser tous les ouvrages dont les paysans et habitants avaient besoin ; et dieu sait que, dans nos campagnes, on en avait besoin du forgeron et du charron. Il s’aidait du feu pour travailler le métal et réaliser les essieux et cercles de roues de charrettes et de barriques, les marteaux de porte, les socs de charrue, les pelles, les pioches et divers objets dont tout le monde avait besoin. Alors c’est bien justice si la maison du forgeron et sa forge bénéficient depuis 2007 du label de la Fondation du Patrimoine.

Dans la forge, éclairée par une simple petite ampoule, on trouve encore sous un plafond noirci de suie, de longs bouts de métal bbbien rangés, une perceuse à main, un étau, toute la série des pinces, des poinçons, des limes et des masses nécessaires à l’ouvrage, la grosse enclume et son billot de bois, le foyer et une soufflet de cuir fatigué « cet énorme crapaud desséché et creux, perdant son air par ses plis flasques » qui semblent attendre le retour d’un forgeron tout juste parti pour sa soupe. Sur la terre battue de la forge, sans se déplacer, c’est à un voyage fantasmatique dans le temps qu’on nous invite.

De la forge, une petite porte, menant par le réduit où dormaait l’ouvrier, mène à la maison du forgeron. Quand on y entre, guidé par deux soeurs Brion, c’est un discret et riche petit musée d’art et tradition populaire qui attend les curieux. Comme une véritable chaumière de petit poucet fait de vieilles tomettes, de plafond bas et de murs en partie de bois et de torchis.

La maison du forgeron est pleine d’un bric à brac merveilleux, rangé et entretenu avec soin par les deux soeurs : un vrai cabinet de curiosités rurales et préindustrielles.

Il y a là un bureau d’écolier sur lequel sont étalés cahiers d’école de 1887, livres d’enfants et encriers ; dans le coin de la pièce, un petit lit accueille une poupée ancienne.

Devant l’âtre d’une feu éteint où font semblant de chauffer des marmites, se réchauffent des oursons sans âge ; l’authentique fauteuil du grand-père, son chapeau, ses sabots, ses lunettes, sa pipe et son tabac semblent attendre le retour de l’ancien. A l’angle sud se trouver le vieux four à pain et une petite étagère couverte de pots de toute forme et de vieilles médecines que l’on ne retrouve plus que dans les brocantes et dans nos souvenirs d’enfant. La pièce donne sur une chambre simple et minuscule, celle des parents où s’exposent les robes et coussins de dentelle de la maman. Du salon, si on baisse la tête pour ne pas s’assommer sur le moment de la porte, les visiteurs arrivent dans le jardin : c’est un bois touffu peuplé d’habitants étanges et imprévus où un petit sentier soigneusement balisé de pierres blanches invite à une promenade. La forêt – jardin est paisible, enveloppante et moissie ; parmi les érables sycomores et les rejets de toute sortes, un immense poirier plus que centenaire semble garder le fond de la propriété. Ce poirier était déjà là quand la grand-mère de Mireille et Bernadette était enfant ; et ça c’était pourtant en 1876. Les branches en sont si hautes que ses fruits, même en tombant sur la mousse et le lit de feuilles mortes, ne peuvent faire autrement que d’éclater en touchant le sol.

Quand on retourne dans la maison et dans la forge, celle-ci est maintenant habitée. En effet, deux charmants forgerons, Jean-Louis Raffestin et Jean-Paul Bernard, sont venus, pour l’occasion de Bourges et de Veaugues, y brûler le charbon, tirer sur le soufflet et frapper le métal. La pince se saisit d’un fin bout d’acier rougit au feu quand il arbore une belle couleur de vitrail orange, et le marteau le frappe sous les yeux impressionnés des enfants de passage.

On imagine tout le ramdam que c’était, quand le père des soeurs Brion, Marcel Brion, menuisier, et leur grand-père, forgeron, confectionnaient et cerclaient de fer les roues des tombereaux et autres charrettes de la commune.

Une fois l’an, le charron faisait un grand feu sur lequel on déposait, empilés, les cerclages de fer qu’il convenait d’installer sur les roues.

Il fallait quatre à six faillards pour les aider à manipuler les cerclages de fer rougi. Grâce à de grosses et longues pinces, on sortait les cerclages de fer du feu et on les disposait sur de grandes roues en bois de presque deux mètres de diamètre. Prestement, il fallait poser, marteler et clouer le fer rouge sur la roue de bois avant que le fer ne refroidisse dans un trou plein d’eau, sans que les opérants ne s’écrasent un doigt ou la main toute entière, ou ne se brûlent gravement les jambes. L’ouvrage alliant fer, feu, bois, force et adresse attirait beaucoup de curieux, dont beaucoup d’enfants à qui l’on interdisait, à juste raison, de s’approcher du feu.

Un année malheureuseme, lors de l’événement, le grand-père Morin, bascula dans le feu. Il fut sauvé grâce à la présence de nombreux hommes sur le lieu de l’accident, mais, gravement brûlé, il conserva les séquelles de sa chute jusqu’à la fin de sa vie… Mireille s’en souvient encore, comme Claude Paulin, qui était alors enfant et qui fut fortement marqué par le drame.

Quand, après ce voyage dans le temps et dans la maison du Forgeron, on regagne la rue principale de Montigny, on garde en tête « la chanson du marteau sur l’enclume » et on est encore un peu aveuglé par le rougeoiement de la braise. On a dans le nez l’odeur âpre et sèche du fer incandescent et du charbon rougeoyant, et dans un creux de la tête des images de vieilles dentelles, de porcelaines et de jeux d’enfants au milieu desquels nous avons déambulé. En traversant la route, ce sont toutes ces sensations qui se déplacent et regagnent avec nous le XXIème siècle.

Et quand un peu plus tard, au chaud dans notre canapé, on tombe sur un roman de Claude Seignol et qu’on y lit sa description de « la lourde masse donnant forme à l’essieu », du « fer rougi, vivant dont le sang ardent dompté s’échappe peu à peu laissant sur l’enclume une chaire grisâtre », alors, instantanément, l’odeur de la forge nous revient aux narines, la douce nostalgie du petit musée nous remplit le coeur, et on se retrouve, de nouveau, plongé dans la maison du forgeron de Montigny.

Si vous souhaitez vous aussi tenter l’expérience, faites bien attention lors des prochaines journées su patrimoine. Lorsque le panneau « Maison du forgeron » apparaîtra devant un taillis et une petit maison invisible dans le virage du centre bourg, c’est que les soeurs Brion, de nouveau, auront ouvert, aux plaisirs de tous, leurs jolis trésors cachés.

Sébastien Welsch